Djihad au Sahel, le conflit s’instaure entre le JNIM et l’EIGS

Au Sahel, le conflit entre le JNIM (Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin) et l’EIGS (État Islamique dans le Grand Sahara) s’intensifie depuis le début de l’année 2020, alors que les mouvances djihadistes locales avaient tendance à cohabiter pacifiquement depuis 2015. Pour rappel, le JNIM est relié à Al-Qaïda, et l’EIGS a prêté allégeance à l’Etat Islamique (Daesh). Si la lutte entre ces groupes terroristes est accentuée par la rivalité mondiale entre les deux maisons mères, elle se base aussi sur des enjeux locaux.

2020, l’année de l’explosion des tensions

Fin 2019, la défection de combattants du JNIM en faveur de l’EIGS provoque des tensions entre les deux groupes. Début 2020, une guerre ouverte éclate dans l’est du Mali, près de la frontière avec le Burkina Faso avant de s’étendre géographiquement sur la zone des trois frontières (Mali-Burkina-Niger).

Selon « African center » la violence liée aux groupes islamistes au Sahel a quasiment doublé en un an, passant de 1180 événements violents en 2020 à 2005 évènements en 2021. Depuis les premiers affrontements en 2019 jusqu’au 2 janvier 2021, les deux groupes se sont affrontés au moins 125 fois, entraînant la mort d’environ 731 combattants des deux côtés et causant la mort de milliers de civils. Le conflit entre le JNIM et l’EIGS continue toujours aujourd’hui : en février 2022, les combats ont poussé les habitants de Tessit et ses environs à prendre la fuite pour se réfugier à Ansongo, Gao et Niamey. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les affrontements entre ces deux groupes teroristes. Dans le cas de Tessit, une des raisons possibles est le contrôle des grands axes routiers pour le trafic de drogue, d’armes, de bétail et par l’installation de points de contrôle.

Des divergences irréversibles entre ces groupes

Le JNIM s’est ouvert aux négociations avec le gouvernement malien, chose que l’EIGS considère comme une trahison aux valeurs du djihad, les qualifiant d’apostats.

Les objectifs des deux entités sont clairement différents. A l’origine, l’EIGS a un projet régional et territorial qui est l’instauration du Califat, proclamé en juin 2014. De son côté, le JNIM allié à Al-Qaïda est une mouvance transnationale, tournée à la fois contre les régimes arabes et contre l’alliance occidentale menée par les États-Unis.

Pour le Dr. Aly Tounkara, expert au Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel (CE3S), l’État Islamique est un groupe terroriste qui est dans la « territorialisation », cherchant à occuper, et à garder le contrôle des différentes zones occupées en y appliquant la Charia. Le JNIM quant à lui ne cherche pas systématiquement à occuper le territoire, mais plutôt à établir une certaine proximité avec les chefferies locales.

Autre raison du conflit entre le JNIM et l’EIGS, les deux groupes abordent le djihad de manière différente. En effet, même s’ils sont tous deux partisans de l’action armée et de l’application de la Charia, par exemple le fait de cibler les populations civiles fait l’objet de différends.

La question de l’utilisation des trafics de produits non autorisés par l’islam pour financer ses activités, comme la drogue par exemple, est autorisée par Al-Qaïda, mais interdite par l’état islamique. Ces dissensions ont été exprimées publiquement par le biais de communiqués ou de prêches émanant de cadres du JNIM ou des médias tels que « Al Naba » pour l’EIGS ou « Az zallaqa » pour le JNIM.

Ces différences se retrouvent aussi dans leur communication. Pour dénoncer ses adversaires, Al-Qaïda se base sur des textes islamiques argumentés, en utilisant la méthode du débat contradictoire. L’EIGS interprète quant à lui les textes religieux d’une manière plus simple, traduisant sans doute un degré plus faible de connaissance en théologie islamique. Si son discours est facilement audible et mobilisateur, son contenu relève du « bricolage » idéologique, ce qui lui est régulièrement reproché par les détracteurs de l’EIGS, dont des personnalités et institutions religieuses comme Al-Azhar.

L’État islamique se vante fréquemment des prétendues victoires de l’EIGS contre le JNIM dans sa propagande. Cela reflète la demande de l’État islamique central à son affilié régional d’adopter une posture plus hostile envers son concurrent Al-Qaïda.

Un sentiment de trahison

Autre motif qui engendre des conflits armés entre ces deux groupes terroristes, les nombreuses désertions de membres du JNIM pour rejoindre l’EIGS, et inversement. Un exemple récent est l’affrontement en 2020 entre la Katiba Macina, dirigée par Amadou Kouffa, et des anciens membres de cette même Katiba ayant rejoint les rangs de l’EIGS.

La réticence du JNIM ces dernières années à partager son territoire dans certaines de ses zones d’action, ainsi que les désertions incessantes de ses membres pour l’EIGS, ou inversement ont généré des perceptions mutuelles de trahison. L’ouverture du dialogue entre le JNIM et le gouvernement malien, et la signature d’accords ont suscité la méfiance de ses combattants, mais aussi de son rival. Le frère d’armes d’un jour peut se transformer en ennemi le lendemain. Les deux groupes éternellement rivaux ont besoin régulièrement de purger leurs rangs des espions et des traîtres présents à tous les niveaux de commandement.

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