Date : 16 Jun 2025

Port-Soudan au carrefour de la guerre des drones

Port-Soudan, longtemps en marge des affrontements, devient le miroir d’un conflit qui engloutit peu à peu tout le pays. Les attaques de drones qui s’abattent désormais sur la ville témoignent d’un chaos exacerbé par l’intervention de puissances extérieures.

Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans un conflit meurtrier entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Cette guerre civile a déjà fait plus de 150 000 morts et déplacé plus de 13 millions de personnes. Les récents événements à Port-Soudan, notamment l'utilisation massive de drones par les FSR, alimentent les tensions et menacent de transformer ce conflit interne en une crise régionale majeure. Nous examinons ici les implications sécuritaires et géopolitiques de ces attaques, ainsi que les réactions des acteurs régionaux et internationaux.

Frappes de drones : un tournant dans le conflit 

La ville de Port-Soudan, jusqu'alors relativement épargnée par les combats, se retrouve désormais en première ligne. Depuis mai 2025, la capitale de substitution du gouvernement soudanais est la cible de plusieurs vagues d'attaques de drones. Ces frappes visent des infrastructures stratégiques telles que l'aéroport international, la base militaire du Flamingo, et des réservoirs de carburant, causant des dommages importants. Les images satellites et les vidéos locales montrent des colonnes de fumée noire s'élevant des zones touchées, tandis que les services de secours peinent à contenir les incendies. Brian Castner, responsable de la recherche sur les crises à Amnesty International, confie son inquiétude à propos de l’apparition des drones dans la guerre au Soudan : « Malheureusement, le champ de la guerre semble s’étendre. C’est une arme de précision. C’est une bombe relativement sophistiquée et c’est pour cela que cela semble marquer une escalade dans le conflit ». Initialement, ces armes de pointe ne figurent pas parmi l’arsenal de l’armée soudanaise et n’ont pu être fourni que par des acteurs extérieurs.

Les FSR emploient au moins deux types de drones capables de larguer ces bombes. Le CH-95 et le Wing Loong II : deux modèles de conception et de fabrication chinoises. Ces drones, capables d'effectuer des frappes précises et des missions de renseignement, échappent aux défenses antiaériennes traditionnelles. Les autorités soudanaises accusent les Émirats arabes unis (EAU) d'avoir fourni ces drones aux FSR, une allégation que les EAU nient avec vigueur. Cependant, certains experts et diplomates de l’ONU, soutiennent que la piste d’atterrissage d’Amdjarass au Tchad (situé à environ 50 km de la frontière soudanaise) est utilisée par les EAU pour livrer des armes aux belligérants soudanais.

Tensions régionales et l'implication étrangère

La situation à Port-Soudan a des répercussions bien au-delà des frontières soudanaises. Les EAU sont accusés de soutenir les FSR, tandis que la Turquie appuie les FAS. Cette dynamique rappelle les tensions observées en Libye, où Ankara et Abou Dhabi alimentaient des camps opposés. La Turquie a fourni aux FAS des drones Bayraktar TB2 et des opérateurs turcs, qui ont aidé les forces gouvernementales à inverser la tendance contre les FSR au cours des derniers mois.

Les analystes craignent qu'une escalade du conflit ne transforme le Soudan en un nouveau théâtre de guerre par procuration entre puissances régionales rivales. Alan Boswell, expert du Soudan pour l'International Crisis Group, avertit que toute riposte des FAS et de leurs alliés turcs pourrait attirer la Turquie et les EAU plus profondément dans le conflit interne soudanais. Les attaques de drones contre Port-Soudan pourraient conduire à une guerre régionale plus vaste, selon un responsable soudanais. Cette multiplication des attaques de drone ciblant des infrastructures logistiques, pétrolières et électriques enflamme la situation soudanaise.

Une image satellitaire montre un avion-cargo sur le tarmac de l’aéroport international d’Amdjarass (Tchad) le 1er octobre. REUTERS

Implications géopolitiques 

La mer Rouge, une voie maritime stratégique reliant le canal de Suez à l'océan Indien, est au cœur des enjeux géopolitiques. Les EAU tentent d'établir une présence militaire à Port-Soudan, mais leurs plans sont contrecarrés par les tensions actuelles. La Russie, quant à elle, cherche à renforcer sa position dans la région en établissant une base navale à Port-Soudan, un accord qui suscite des réactions mitigées au Soudan et à l'étranger. Les efforts du Kremlin pour obtenir un accord militaire permanent dans la région restant loin d'être réalisés.

Les analystes soulignent que les EAU ont intensifié leur approvisionnement en drones aux FSR, ce qui représente une menace directe pour la stabilité régionale. Vers la fin avril 2025, le Humanitarian Research Laboratory de l'école de santé publique de Yale identifie six drones chinois de pointe censés avoir été fournis par les EAU à l'aéroport de Nyala contrôlé par les FSR au Darfour du Sud. Il s’avère que ces drones ont été utilisés pour des attaques coordonnées contre des infrastructures stratégiques, exacerbant la violence et compliquant les efforts humanitaires.

Réactions internationales et locales 

L'utilisation massive de drones par les FSR suscite des condamnations internationales. Amnesty International dénonce l'utilisation de ces armes, soulignant qu'elles causent des souffrances humaines considérables et contribuent à la dégradation de la situation humanitaire au Soudan. L'organisation révèle également comment des systèmes d'armes de fabrication française sont utilisés sur le champ de bataille au Soudan.

Localement, les habitants de Port-Soudan vivent dans la peur constante des attaques. Jadis centre d’accueil pour des déplacés et des institutions internationales, la ville incarne désormais l’ampleur des violences qui frappent le pays. Le chef de l'ONU, Antonio Guterres, averti que les attaques menacent d'augmenter les besoins humanitaires et de compliquer davantage les opérations d'aide.

Perspectives d'avenir

La guerre des drones à Port-Soudan illustre la complexité du conflit soudanais et les défis auxquels sont confrontées les forces armées locales. Les FSR, soutenues par des puissances étrangères, continuent de poser un défi majeur aux FAS, qui doivent adapter leurs stratégies pour faire face à cette menace. Les analystes soulignent que la résolution du conflit nécessitera non seulement une intervention militaire, mais aussi des efforts diplomatiques concertés. Emadeddin Badi, associé principal au programme Moyen-Orient de l'Atlantic Council, insiste sur la nécessité de dénouer la toile des intérêts extérieurs pour cultiver une réponse internationale adéquate à cette crise.