Date : 07 May 2025
Terrorisme au Sahel : comment les groupes djihadistes se procurent-ils leurs armes ?
Lors de l’attaque du 28 mars à Diapaga, au Burkina Faso, les djihadistes se sont emparés de nombreuses armes et véhicules. Au Sahel, les groupes armés renforcent leur arsenal en prenant d’assaut les forces nationales et leurs supplétifs.
La ville de Diapaga a été le théâtre d’une attaque particulièrement meurtrière perpétrée par les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). Arrivés à moto, les assaillants ont ciblé le camp militaire local, occupé par des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR) et des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Rapidement débordées, les forces burkinabè ont été contraintes à la retraite, laissant derrière elles un lourd tribut : au moins 65 morts, parmi lesquels le commandant de la base, le capitaine Yannick Sawadogo.
Cette attaque s’inscrit dans un cycle d’affrontements et de représailles. Elle serait en réaction au massacre de plus de 58 civils peuls à Solenzo, les 10 et 11 mars, imputé à des soldats burkinabè et à des VDP. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux semblent impliquer des milices pro-gouvernementales dans ces exactions, ciblant spécifiquement la communauté peule. Human Rights Watch (HRW) a dénoncé ces crimes, exhortant les autorités à diligenter des enquêtes impartiales et à traduire les responsables en justice. L’organisation avait également mis en garde contre un risque élevé de représailles de la part des groupes djihadistes – une prévision qui s’est tragiquement confirmée avec l’assaut sur Diapaga, au cours duquel les assaillants se sont emparés de nombreuses armes, de munitions et de véhicules.
Les armées nationales, principaux pourvoyeurs involontaires d’armes aux terroristes
Les informations disponibles, bien qu'encore partielles, indiquent que les combattants du JNIM auraient capturé environ 240 armes légères, 179 caisses de munitions et un nombre important de motos. Trois pick-up Toyota Land Cruiser militarisés, équipés de canons antiaériens ZSU-23-2, figureraient également parmi les prises.
Malgré ce butin substantiel, Jafar Dicko, émir du JNIM au Burkina Faso, a déclaré dans une vidéo diffusée après l’attaque que son organisation ne disposait pas encore de l’arsenal et des moyens logistiques nécessaires à ses ambitions. Il a néanmoins annoncé l’intention du groupe de multiplier les offensives contre les installations militaires et les VDP afin de renforcer ses capacités opérationnelles.
Au Sahel, les groupes armés ont progressivement délaissé les filières traditionnelles d’approvisionnement – notamment le trafic libyen – au profit de raids directs sur les forces nationales. Cette stratégie, combinée à l’exploitation des failles des forces supplétives et à l’usage croissant de technologies comme les drones FPV, modifie profondément les équilibres tactiques sur le terrain.
L’implantation du groupe Wagner au Mali depuis 2021 ajoute une dimension supplémentaire. En avril 2025, l’attaque du camp de Kawla a permis à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) de s’emparer d’armements d’origine russe, notamment des RPG-29, initialement livrés aux mercenaires russes. Documentées par HRW, les exactions commises par les Wagnerites ont accentué la défiance des populations locales, facilitant les infiltrations djihadistes.
Le Liptako-Gourma – zone stratégique à la frontière du Mali, du Burkina Faso et du Niger – concentre à lui seul 80 % des attaques contre les installations militaires recensées depuis 2019. Si les VDP ont un rôle central dans la sécurisation des zones rurales, ils sont également devenus une cible privilégiée des groupes armés.
VDP : une faille structurelle exploitée
Le renforcement des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans la région s’est accompagné de l’enrôlement massif de plus de 50 000 VDP au Burkina Faso, augmentant considérablement le volume d’armements circulant dans les zones de conflit. Cette montée en puissance, bien qu’indispensable à la défense des territoires, a aussi accru la vulnérabilité logistique des forces locales.
Les VDP sont principalement équipés d’armes légères – fusils d’assaut AK-47, fusils de chasse de calibre 12 – dont le stockage reste problématique. Seules 41 % des unités disposent de dispositifs sécurisés, le reste ayant recours à des caches sommaires (greniers, fosses, puits), facilement identifiables lors des attaques.
D’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), environ 12 % des 37 000 armes distribuées aux VDP entre 2022 et 2024 seraient tombées aux mains des groupes armés. Ce phénomène engendre un cercle vicieux : les raids réussis renforcent les capacités des groupes terroristes, qui peuvent dès lors lancer de nouvelles attaques et accroître encore leur arsenal.
La proximité culturelle et géographique entre certaines communautés rurales et les groupes djihadistes – notamment dans les zones frontalières entre le Burkina Faso et le Mali – facilite également des transferts d’armes sans combat, par intimidation ou adhésion volontaire. Selon la MINUSMA, chaque attaque de poste VDP permettrait en moyenne la récupération de huit fusils d’assaut et de 200 munitions. Ces prises, bien que modestes isolément, s’avèrent considérables à l’échelle régionale.
Des arsenaux hétérogènes, reflet de la fragmentation territoriale
L’analyse des équipements saisis lors des opérations militaires menées par les FDS met en lumière des disparités importantes entre les groupes terroristes, liées tant aux zones d’opération qu’aux circuits d’approvisionnement.
Ainsi, lors de l’opération « Tourbillon Vert » conduite du 27 février au 2 avril 2025 dans la vallée du Sourou, les FDS ont mis la main sur un arsenal majoritairement composé d’armes d’origine russe et chinoise : fusils d’assaut AK-47 et copies chinoises (Type 56, 56-1, 56-2), mitrailleuses PKMS et PMCS, mitrailleuse lourde DShK, lance-roquettes RPG-7, mortiers, et fusils de chasse calibre 12.
La présence significative de ces derniers – généralement utilisés par les chasseurs dozos du Pays Dogon au Mali – suggère des transferts par prédation ou par opportunisme. Cette singularité atteste également d’une faible perméabilité entre les différentes katibas. Par exemple, l’armement de la katiba Hanifa (active à l’est du Burkina Faso et au sud de Tillabéri) n’est pas observé dans les mains de la katiba Macina, pourtant affiliée au même réseau (JNIM) mais opérant au Mali.
Ce cloisonnement opérationnel, qui se traduit par une fragmentation logistique, empêche une mutualisation large des ressources et maintient chaque katiba dans une relative autonomie d’approvisionnement.
Terrorisme au Sahel : une dynamique d’expansion vers le Golfe de Guinée
La croissance des groupes terroristes dans le Sahel repose sur un recrutement intensif, mêlant endoctrinement, pression sociale et contrainte directe. Les vulnérabilités socio-économiques – pauvreté, chômage, tensions communautaires – favorisent l’adhésion à ces groupes, en particulier dans les zones rurales. Le Ghana, jusque-là relativement épargné, connaît désormais un phénomène inquiétant de recrutement transfrontalier, avec plusieurs centaines de jeunes enrôlés pour combattre au Sahel.
Cette dynamique démographique accroît les besoins logistiques des groupes armés, qui peinent toutefois à constituer un arsenal suffisant pour mener des offensives de grande ampleur. Cette insuffisance, bien que temporaire, ne remet pas en cause leur stratégie d’expansion territoriale, en particulier vers les zones frontalières faiblement gouvernées.
Le principal risque, à terme, est qu’ils atteignent une masse critique d’armement, ouvrant la voie à une intensification des attaques, tant en fréquence qu’en létalité. Déjà, des signaux faibles indiquent une extension vers les États côtiers du Golfe de Guinée, notamment la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et le Ghana, où les groupes terroristes cherchent à établir des bases arrière et des relais locaux.