Le 6 avril 2022 marque le dixième anniversaire d’une insurrection dans le Nord du Mali qui a entraîné une redistribution des cartes parmi les groupes armés.
Le 6 avril 2012, le « Mouvement National de Libération de l’Azawad » déclare son indépendance vis à vis du Mali. Il s’agit d’un « nouveau soulèvement touarègue » qui fait suite à d’autres plus anciens dans une zone toujours instable. Si cette manifestation politique s’exprime principalement au Mali, elle entraîne de nombreuses réactions chez les populations touarègues alentours, comme une onde de choc, provoquant la méfiance des États voisins.
Un Nord-Mali secoué par des rebellions touarègues
Le terme Azawad vient de la langue touarègue d’origine berbère. Plusieurs sens lui sont donnés mais sa signification principale s’attache à une zone géographique. Chez les nomades Touaregs Kel Antessar et Arabes Berabich de la région de Tombouctou, il désigne la zone de pâturages qui se situe au Nord de cette ville. Région aux limites imparfaites, « l’Azawad est l’appellation naturelle de la zone malienne qui se trouve au nord du fleuve Niger et qui se situe entre la Mauritanie et l’Algérie », explique Jidou Ag Almoustapha, un représentant des réfugiés maliens à Mentao, au Burkina Faso.
Très marquée idéologiquement, la revendication indépendantiste pour le Nord du Mali marque le pas dès le début de la rébellion de 1990. Les mouvements évoquent l’autonomie puis un système de type fédéral pour faire reconnaître l’Azawad comme «une entité politique en elle-même» …pour une population approximative de 1,3 million d’habitants. Ces relations entre le Nord et le Sud sont officialisés le 11 avril 1992 par la signature du «Pacte national officialisant le statut particulier du Nord du Mali ». Le « statut particulier » du Nord a, par ailleurs, une conséquence plus globale sur le territoire national en « accélérant » à partir de 1999, la décentralisation comme mode de gouvernance.
A partir de 2011 le Mouvement National pour l’Azawad (MNA), revendique une administration plus proche des réalités au Nord et devient le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA). Par la suite, l’année 2012 marque le début du conflit contre la présence des autorités maliennes dans la région. Dans le contexte de la chute du régime du colonel Kadhafi en 2011, le MNLA est renforcé par une branche armée, qui comprend en partie les militaires touaregs qui servaient auparavant dans l’armée libyenne, mais aussi les combattants non démobilisés d’Ibrahim Ag Bahanga. Le MNLA déclare donc, de façon inédite, l’indépendance de l’Azawad, le 06 avril 2012. Le nouvel « État » s’étend sur 827 000km2 soit l’équivalent de 66 % du territoire. Auto-proclamé, le Mouvement s’attache à lui donner les caractéristiques classiques de l’État : territoire, population et pouvoir politique.
Du conflit politique au conflit tribal ?
La volonté de créer un nouveau cadre de gouvernance se retrouve chez Ansar Ed-dine, groupe terroriste formé en 2012 par Iyad ag Ghali, qui se différencie du MNLA par un discours appelant à une séparation territoriale temporaire, plutôt que l’indépendance et par l’application de la Charia comme règle de droit. Le MNLA qui est l’héritier des guérillas indépendantistes des années 90, prône une doctrine laïque et fait la promotion de la culture touarègue. Son allié du HCUA (Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad), créé pendant la guerre du Mali en 2013, en est l’équivalent islamiste. Alghabass Ag Intalla est le secrétaire général. Notons qu’il y a toujours eu porosité entre le HCUA et les jihadistes d’Ansar ed-Dine. Depuis 2017, ce groupe a fusionné avec d’autres pour créer le JNIM (Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin). En face, le GATIA (Groupe d’Autodéfense Touareg et Imghad et Alliés), loyaliste, prône l’unité du territoire malien. L’accord d’Alger, officiellement dénommé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, visant à mettre fin à la guerre au Mali a été signé les 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako après des pourparlers menés à Alger entre la république du Mali et la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Après d’âpres négociations où chaque partie au conflit a voulu tirer la couverture à soi, un accord qui ne satisfait personne a été signé. Pour la première fois depuis cette date, une réunion du Comité de suivi de l’accord d’Alger de 2015 a eu lieu à Kidal, ville du Nord du Mali tenue par des ex-rebelles indépendantistes, en 2021. Un symbole qui témoigne de la difficulté à mettre en œuvre cet accord de paix, dans un pays où la majorité de la population le rejette.
Le GATIA créé en 2014 est une conséquence de la défaite de l’armée malienne lors de la bataille de Kidal en mai 2014. Celui-ci prône le maintien de l’Azawad au sein du Mali et se veut ainsi un mouvement loyaliste. Composé en majorité d’Imghads, ce mouvement cherche à s’émanciper de la tutelle des Ifoghas, lignée considérée comme noble, au sein d’une société touarègue très hiérarchisée. Cette opposition a donné lieu en 2016 à des affrontements violents entre ces deux minorités dans la région de Kidal.
Sept ans après les accords d’Alger, outre le fait que la population ignore en grande partie son contenu, son application s’est heurtée à une mauvaise volonté de part et d’autre. Le partage des responsabilités entre l’État malien et les groupes armés ne fait pas l’unanimité. Des alliances de circonstance sont parfois nouées, en vain.
En 2012, le MNLA déclenche la guerre au Mali au nom de l’indépendance de l’Azawad. En 2022, alors qu’un accord de paix a été signé en 2015 et que de nombreuses forces armées internationales sont présentes sur le terrain, on compte encore plus de 81 groupes armés actifs sur le territoire. Le conflit armé serait dans une impasse causée par le comportement versatile des belligérants. A l’instar d’autres pays ou régions dans le Monde, l’Azawad et le Mali sont tiraillés entre un système fédéral qui pourrait vouloir dire, à terme, un morcellement dangereux pour l’unité ou un recentrement vers un Etat central, lui-même défaillant dans ses missions régaliennes traditionnelles. Intérêts politiques et économiques s’entremêlent ainsi sur un territoire convoité, et l’Azawad continue à connaître la violence et l’instabilité.