Date : 27 Jan 2025

Réfugiés maliens en Mauritanie : victimes collatérales de l’insécurité au Mali

Entre le 2 et le 4 janvier 2025, au moins 13 civils ont été tués dans le secteur de Dioura et de Gargando. Le groupe Wagner et l’armée malienne sont pointés du doigt. Au Mali, la menace terroriste et les exactions commises par les mercenaires russes contraignent la population civile à l’exil. Plus de 250 000 Maliens se sont déjà réfugiés en Mauritanie.

Enaderfé Ag Mohamed Elmoctar était un travailleur humanitaire pour l’organisation non gouvernementale (ONG) Triangle génération humanitaire. En congés, il était de passage au Mali avec sa famille. Le jeudi 2 janvier, il quitte Niono à bord d’un véhicule pour rendre visite à sa mère au camp de réfugiés de M'Bera, en Mauritanie. Le samedi 4 janvier, son véhicule est retrouvé calciné à Fatissouma, près de Dioura. Enaderfé est retrouvé mort aux côtés de sa femme enceinte, de leur jeune garçon de 3 ans et de 6 autres passagers. Le même jour, les corps de 4 autres civils ont été retrouvés à Tinlokyane, près de Gargando. C’est en tout 13 civils qui ont été tués. Les rebelles indépendantistes du Front de libération de l’Azawad (FLA) ainsi que de nombreux témoins locaux affirment que les forces armées maliennes (FAMa) et Wagner (aujourd’hui Africa Corps) sont responsables des ces exécutions. Ces événements tragiques ne sont malheureusement pas des cas isolés. Au Mali, les violences envers les civils se sont accrues depuis l’arrivée des mercenaires russes. De nombreux civils sont ainsi poussés sur le chemin de l’exode.

La Mauritanie, terre de refuge

Mohamed Askia Touré, représentant résidant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Mali, affirme que « du fait de l'étendue du conflit, les Maliens quittent davantage leur pays pour des raisons sécuritaires plutôt qu’économiques ». Les réfugiés maliens en Mauritanie ont fui leur pays dévasté par les combats entre les groupes armés terroristes, les rebelles indépendantistes et les FAMa soutenues par Wagner.

Wagner opère au Mali depuis 2022, selon un contrat passé avec ce pays. Les mercenaires russes ont pour mission d’appuyer les militaires maliens dans leurs opérations de lutte contre le terrorisme. Cependant, les conséquences de cet appui militaire sont controversées. Depuis plusieurs années, le Mali fait face à une recrudescence de la menace terroriste. Les groupes djihadistes ont intensifié leurs attaques, notamment dans le centre et le nord du pays. L'État islamique au Sahel, Al-Qaïda et les groupes qui leur sont rattachés sont responsables de la mort de combreux civils. Ces derniers, accusés de complaisance avec certains groupes, subissent également des exactions (torture, viols, enlèvements, etc.) de la part de l’armée et des mercenaires de Wagner, supposés appuyer les FAMa dans leur lutte contre les groupes rebelles indépendantistes.

Les mercenaires russes sont soupçonnés de s’être livrés à de nombreuses exactions. Human Rights Watch affirme que depuis décembre 2022, ils ont « exécuté sommairement et fait disparaître de force plusieurs dizaines de civils ». De nombreux témoignages attestent des violences commises par les mercenaires sur les civils. Fatimata, originaire de Mopti raconte : « je n’ai jamais pensé quitter ma maison […]. Mais quand les hommes de Wagner sont arrivés, ils ont pris tout ce que nous avions, tué ceux qui refusaient de collaborer et brûlé nos champs ». Les autorités maliennes semblent avoir perdu le contrôle, laissant la population sans protection. « Le gouvernement malien ne gère plus rien, c’est Wagner qui fait la loi dans les régions que j’ai fuies », raconte Mamadou, réfugié malien. Ces nombreuses exactions sont un levier de recrutement pour les groupes armés terroristes.

Une situation humanitaire difficile dans le camp de Mbera en Mauritanie

À ce jour, la Mauritanie accueille plus de 262 000 réfugiés et demandeurs d’asile. Plus de 242 000 réfugiés maliens se trouvent dans la seule région du Hodh Ech Chargui. À quelques kilomètres de la frontière, environ 110 000 réfugiés maliens résident dans le camp de Mbera. 132 000 autres sont répartis dans 70 villages d’accueil aux alentours. Sur le camp de Mbera, les tentes blanches marquées du logo du HCR abritent des dizaines de milliers de familles maliennes. Des familles dont le nombre ne cesse d’augmenter. La croissance exponentielle est telle que Mohamed Askia Touré affirme que « le camp de réfugiés de Mbera est devenu la deuxième ville du pays ».

L’intensification des violences au Mali a créé une véritable crise humanitaire. Le camp de Mbera est surpeuplé. Conçu pour accueillir 70 000 réfugiés, il en accueille aujourd’hui presque le double. Cependant, sur le camp, l’aide humanitaire diminue faute de financement international. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a dû réduire les rations alimentaires distribuées aux réfugiés en raison d’un manque de financements. Mariam, une réfugiée malienne déplore qu’il n’y ait « pas assez d’eau potable pour tout le monde » et qu’il faut parfois « attendre des heures sous le soleil pour remplir un bidon ». La Mauritanie assume presque à elle seule la charge d’accueillir ces réfugiés. Un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur mauritanien déclare : « nous sommes très fiers de ce que nous faisons, mais nous sommes presque seuls ». Le pays a pourtant lancé plusieurs appels à la communauté internationale pour obtenir un soutien plus important, mais ces appels se sont noyés dans la multitude d’autres crises mondiales. Même seule, la Mauritanie n’a pas d’autre choix que celui d’accueillir les réfugiés maliens. Un fonctionnaire du camp de Mbera affirme qu’il « n’y a aucune générosité là-dedans », « fermer les portes à ces gens serait un suicide diplomatique et sécuritaire ».

La Mauritanie est un pays aux ressources limitées. Pourtant, les autorités mauritaniennes parlent d’un effort budgétaire « important » consacré aux réfugiés, dans un budget national qui est déjà contraint. Un fonctionnaire du ministère de l’Économie signale que « le gouvernement mauritanien s’efforce également d’intégrer les réfugiés dans les systèmes nationaux, par exemple en délivrant des certificats de naissance via les bureaux d’état civil et en travaillant avec des partenaires internationaux comme la Banque mondiale pour transférer certains services. Tout ceci a des coûts ». Plus de 16,6 % de la population du pays vit en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Dans la région du Hodh Chargui, l’une des plus pauvres de Mauritanie, 78 % de la population vit dans la pauvreté multidimensionnelle (mortalité infantile, nutrition, électricité, etc.). Aux alentours du camp de Mbera, la pression sur les ressources en eau, nourriture et soins est importante. Les populations locales en subissent les frais. Le prix des denrées de base a fortement augmenté et l’accès à l’eau potable est devenu plus difficile. Une habitante de Bassikounou raconte que « les prix ont explosé avec l’arrivée des réfugiés », et qu’elle a « du mal à trouver à manger » et que « l’eau est devenue rare ». Les populations locales se sentent abandonnées.

La situation au Mali et en Mauritanie reste extrêmement préoccupante. La violence croissante continue de déstabiliser le pays. Des centaines de milliers de civils sont forcés à fuir vers la Mauritanie pour échapper à des exactions de plus en plus violentes. Le camp de Mbera, ainsi que les villages d’accueil voisins se trouvent submergés par un afflux constant de réfugiés. La pression que font peser ces nombreuses arrivées sur les ressources locales aggrave la crise humanitaire. En dépit des efforts de la Mauritanie pour gérer cette situation, la réponse internationale reste insuffisante.