En février 2022, une équipe de gardes forestiers tombe dans une embuscade dans un parc naturel transfrontalier, le W National Park, géré par le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Le bilan provisoire fait état de six morts, dont cinq gardes forestiers et un soldat des Forces armées Béninoises (FAB), dix autres personnes ont été blessées. Des groupes djihadistes arrivés par le Sahel sont les auteurs de cette action terroriste non revendiquée rendant la région de plus en plus dangereuse.
Cette année a aussi été marquée par une crise socio-politique intense engendrée par l’organisation des élections législatives de 2020 qualifiées aujourd’hui encore d’exclusives par l’opposition béninoise. Plusieurs villes ont enregistré des mouvements de protestation sous fond de violence ayant occasionné des dommages tant sur le plan humain que matériel. Ces incidents récents prouvent que le feu qui couvait alors n’est toujours pas éteint.
C’est bien là le double défi que doit relever le gouvernement béninois. Une fois de plus dans la région, la solution ne pourra sans doute pas se contenter d’être uniquement sécuritaire.
Rappels événements récents
Le 1er mai 2019 survient l’enlèvement de deux touristes français et la mort de leur guide à deux pas de la frontière avec le Burkina Faso, dans le parc national de la Pendjari, voisin du W. Cet espace transfrontalier, appelé WAPO, du nom des parcs W, Arly, Pendjari et Oti, qui traversent les frontières du Niger, du Burkina Faso, du Bénin et du Togo, constitue le second fief de JNIM au Sahel après le delta intérieur du Niger.
Les causes essentielles de cette situation mêlent à la fois la modification des voies de transhumance consécutive aux violences au Burkina Faso, au Niger et au Mali ou à la création d’espaces écologiques protégés, les réformes foncières, les conflits entre cultivateurs et éleveurs, un sentiment de marginalisation des populations du Nord par rapport à celles du Sud ainsi qu’une présence militaire dans la région qui reste inadaptée.
Les autorités béninoises ont reconnu officiellement que le territoire dénommé « Point triple », zone frontalière entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger est considéré comme « critique » en raison des actions terroristes observées. Pourtant, cette situation d’instabilité sécuritaire n’est pas nouvelle. Elle rappelle étrangement la zone des trois frontières existante au sud Mali, nord Burkina et Niger ou encore la zone du lac Tchad (voir notre article : les terroristes du bassin du lac Tchad et terrorisme au Burkina Faso). Et l’expansion du terrorisme provient sensiblement des mêmes causes avec comme point principal l’absence d’opérations militaires coordonnées et un manque flagrant d’échange de renseignement parmi les pays concernés.
Pourtant, dans ce cas précis pour combattre ce fléau, le Bénin met en œuvre des réformes structurelles, l’acquisition de moyens modernes et l’établissement d’une stratégie originale en consultant les leçons tirées de l’expérience des forces de sécurité des pays voisins, comme les Forces Armées Nigériennes (FAN) ou les Forces Armées Togolaises (FAT).
Création des FAB et évolution des effectifs
La constitution du 11 décembre 1990 prescrit aux Forces Armées Béninoises d’assurer la couverture sécuritaire effective, permanente et efficace du territoire, ainsi que la vigilance aux frontières.
Les Forces Armées Béninoises (FAB) sont composées de l’Armée de Terre, des Forces navales, de la Force aérienne et de la Garde Nationale pour un effectif total d’environ 12 100 personnels.
Ils sont répartis comme suit : 8 000 hommes et femmes dans l’armée de Terre répartis en 13 bataillons, un groupement de sapeurs-pompiers et un groupe de Quartier Général. 550 dans la Marine sont en charge de la surveillance de son littoral et la lutte contre la piraterie maritime en armant cinq patrouilleurs côtiers. 500 au sein des forces aériennes mettent en œuvre une douzaine d’appareils essentiellement de transport et de surveillance. Enfin, 3 000 dans la Garde Nationale sont chargés de la sécurité du président de la République, des ministres, des membres du gouvernement, des institutions de la République et de la lutte contre le terrorisme.
Les matériels et équipements en dotation sont essentiellement de fabrication ancienne de type russe, américaine, anglaise et française.
Le jeudi 9 janvier 2020, le chef suprême des Armées, Patrice Talon, annonce la création de la Garde nationale et affirme le renforcement des moyens d’action des forces en vue d’une plus grande efficacité de l’outil de défense et de sécurité. De plus, 600 agents de police sont également recrutés pour le compte de la Police Républicaine dans le but de permettre l’activation de nouvelles unités territoriales et mobiles de la Police dans le pays. Ces recrutements viennent également combler une partie du taux de chômage qui sévit au Bénin.
Problématique des frontières et des parcs animaliers, refuges des groupes terroristes
Suite aux deux premières attaques djihadistes officiellement reconnues à la fin de l’année 2021, l’armée béninoise a renforcé sa présence dans le nord du pays. Pourtant les incidents se poursuivent. En janvier, deux soldats béninois ont été tués lorsque leur véhicule a été victime d’une attaque à la bombe artisanale dans le département de l’Atakora, dans le nord du pays.
Dès le début de l’année 2022, la menace terroriste s’est concrétisée au nord du Bénin. La première attaque enregistrée par le Bénin depuis le début de l’année se traduit par une attaque mardi 08 février 2022 dans la zone dite « point triple ». Le bilan s’élève à neuf morts. C’est une situation qui préoccupe le Bénin. Le gouvernement met en place une nouvelle stratégie visant à contrer les attaques djihadistes qui commencent à s’intensifier.
Plus tard, dans la nuit, deux soldats des Forces armées béninoises ont été tués dans la localité de Porga, près de la frontière avec le Burkina Faso et un djihadiste a été abattu. Ce village est classé aujourd’hui en zone rouge. Un témoin oculaire indique que les assaillants étaient au nombre d’une centaine et étaient masqués. Ils exigent la fermeture des églises et de toutes les écoles où l’on enseigne la langue française. Pour eux, l’Islam et le coran doivent occuper tout l’espace. Indéniablement, c’est la signature de Boko Haram. Dans la localité de Mékrou Yinyin, plus à l’est des militaires en surveillance de la zone frontalière ont été attaqués par des individus non identifiés qui tentaient de contourner le dispositif en place. Un assaillant a été tué.
Les Forces béninoises de Défense et de Sécurité ont réussi à affliger une cuisante défaite lors d’une confrontation frontale, avec des terroristes le 27 et 28 juin 2022. Cette riposte répond à une attaque effectuée dans la nuit du 25 au 26 juin à Matéri dans l’Atacora. Les djihadistes ayant enregistré de lourdes pertes humaines ont sillonné les localités et hameaux pour recruter des sympathisants à coups de promesses mirobolantes. Mais selon plusieurs experts de la région, le Bénin, en tant que pays côtier, est aussi la cible des narcotrafiquants opérant depuis l’Amérique latine.
Contrairement aux autres pays plus proches de l’Afrique centrale, l’effort des terroristes sur le Bénin ressemble étrangement à la recherche d’un débouché maritime. L’accès à la mer permettrait aux djihadistes de fluidifier davantage l’approvisionnement en armes et en munitions d’une part, d’assurer via le trafic de drogue et la vente d’esclaves l’apport financier nécessaire à étendre leurs actions déstabilisatrices dans la région tout en s’inscrivant dans la durée.
Opérations extérieures et aides étrangères
Depuis 2004, les forces armées béninoises participent à l’opération des Nation Unies en Côte d’Ivoire. Le Bénin prend également part depuis 2006 à la mission de l’organisation des Nation Unies au Congo. En outre, les forces armées béninoises déploient une cinquantaine d’observateurs de l’ONU sur l’ensemble du globe comme en Haïti, à Chypre, au Libéria, au Burundi et au Soudan.
Les capacités opérationnelles de l’Armée de Terre des FAB ont été renforcées lors de l’exercice militaire conjoint franco-béninois « Baoura 2017 ». Il a permis d’opérer dans un court délai, l’engagement de groupement de forces contre un ennemi et à rétablir l’intégrité territoriale sur une zone définie.
Du 8 au 20 décembre 2019, à proximité de Cotonou, 30 sapeurs de la section génie-combat du 1er bataillon du génie des FAB ont été formés dans le domaine contre IED par les spécialistes des éléments français au Sénégal.
Le 24 avril 2022, un bâtiment de la marine française, le Latouche-Tréville, en patrouille dans le Golfe de Guinée, a réalisé un entraînement conjoint avec le patrouilleur Oueme des FAB. De plus, 10 marins béninois ont embarqué à son bord pour une période d’instruction à la mer.
Le programme Defence Forces Enabling Development apporte un appui en équipements et en matériels au profit des unités stationnées dans le nord Bénin. Financé par l’Union européenne et en coopération avec l’Armée Royale belge, DEFEND apporte une réponse complémentaire aux projets de coopération de défense habituels. Ce programme améliore la mobilité et les communications terrestres, la surveillance et l’observation aérienne ainsi que la surveillance et la capacité d’intervention sur le fleuve Niger. Prévue sur une durée de 3 ans jusqu’en juillet 2023, l’Union européenne a déjà livré des matériels majeurs en 2021 et 2022.
Le 05 juin 2022, le monde entier a célébré la journée internationale de l’environnement. Une occasion pour les différentes composantes des FAB de lancer l’opération de reboisement intensif initié par l’Etat lors de la journée nationale de l’arbre.
Le vendredi 1er juillet 2022, un « déménagement » forcé est intervenu au domicile de l’ex-roi de la volaille. Cette année, une radiation a été décidée pour les militaires recherchés qui ont pris la mauvaise habitude de ne pas répondre à leur engagement. Le gouvernement béninois démontre ainsi sa lutte sans merci contre l’impunité. D’autre part, la libération d’une vingtaine de prisonniers politiques il y a quelques jours prouve son intention d’aller vers plus de dialogue et de tolérance encourageant toutes les parties à l’accompagner sur la voie de la décrispation et la réconciliation.
Il est vrai qu’en Afrique, les difficultés du « vivre ensemble » se succèdent et se ressemblent. L’expérience douloureuse de la Côte d’Ivoire est encore vivace dans les esprits. Cependant, l’histoire récente en Afrique du Sud, RDC et Côte d’Ivoire, démontre que les conflits politiques ne sont pas une fatalité et que les efforts conjugués de part et d’autre peuvent changer le visage d’un pays.
Sur le plan international, une récente série de raids frontaliers dans les pays au sud du Sahel confirme les analyses selon lesquelles les groupes djihadistes de la région cherchent à progresser vers la côte. Le Bénin est le premier concerné par cette course à la mer. Mais il ne saurait agir seul puisque le Burkina Faso, le Niger, le Togo et le Nigeria ont déjà traversé les épreuves liées au terrorisme. Le Bénin s’appuiera sur l’expérience acquise par ces pays voisins pour pouvoir mener la lutte efficacement.
Ce qui sauve pour l’instant cette région, c’est le manque d’unité et de coordination des différents acteurs du terrorisme djihadiste plus occupés à régler des querelles intestines et assouvir des intérêts tribal et local plutôt que de s’inscrire dans une stratégie plus large au niveau régional.