Date : 08 Apr 2025
Wagner et Africa Corps en Afrique de l’Ouest : impact sécuritaire de la présence russe
Le paysage évolutif de la sécurité en Afrique
L'Afrique de l'Ouest et le Sahel connaissent une reconfiguration sécuritaire marquée par une dépendance accrue envers des acteurs extérieurs, étatiques ou para-étatiques. Face à l'instabilité persistante, au retrait des partenaires occidentaux, et à la montée de la menace terroriste, plusieurs États africains cherchent de nouvelles alliances pour assurer leur sécurité.
Anciennement Wagner, l'Africa Corps illustre cette dynamique. Très actif au Mali, au Burkina Faso et au Niger, il joue un rôle clé dans le soutien aux gouvernements de transition. Cependant, l’intervention de ces forces russes soulève des interrogations sur la souveraineté des États concernés et ses conséquences à long terme. Entre le modèle mercenaire de Wagner et l’organisation plus institutionnelle de l’Africa Corps, un nouveau paradigme sécuritaire émerge, redéfinissant l'équilibre géopolitique régional et remettant en question la place des puissances traditionnelles occidentales.
Wagner et Africa Corps : origines et transformation
Wagner : Un acteur hybride entre mercenariat et influence étatique
Fondé en 2014 par Dmitry Utkin et Yevgeny Prigozhin, le groupe Wagner – officielement « PMC Wagner » – s’est rapidement imposé comme un outil de projection de puissance pour la Russie. Bien que présenté comme une entreprise militaire privée, Wagner opère en étroite coordination avec l’État russe. Sous la direction de Prigozhin jusqu’à sa mort le 23 août 2023, le groupe a mené des interventions militaires directes tout en exploitant illégalement des ressources naturelles dans des zones de conflit. Son action, souvent marquée par des méthodes brutales, a contribué à déstabiliser certains États tout en renforçant la présence russe.
Africa Corps : Une restructuration sous contrôle du Kremlin
À la suite de la disparition de Prigozhin, le ministère russe de la Défense a repris en main les opérations africaines de Wagner, donnant naissance à l’Africa Corps. L’héritier de Wagner vise à renforcer l’influence de la Russie en Afrique avec une approche plus institutionnalisée et coordonnée. L'Africa Corps se concentre sur la formation des forces locales et la sécurisation des infrastructures stratégiques, transformant ainsi les opérations clandestines en une présence militaire assumée et intégrée. Cette nouvelle entité s’affirme comme un instrument officiel de l’influence russe en Afrique.
Implantation et expansion en Afrique
Les interventions de Wagner et de l’Africa Corps répondent à une demande croissante de soutien militaire face aux insurrections djihadistes et aux conflits internes, notamment après le retrait progressif des partenaires occidentaux. Toutefois, ce partenariat s’accompagne souvent d’accords opaques liant assistance sécuritaire et concessions économiques (mines, hydrocarbures, infrastructures). Wagner et l'Africa Corps sont donc actifs dans plusieurs pays africains, comme l’illustre la carte ci-dessous.
État des lieux de la présence russe en Afrique en 2025
Mali : La double présence militaire de Wagner et Africa Corps
Depuis fin 2021, la Russie, via le groupe Wagner puis l'Africa Corps, a consolidé sa présence militaire au Mali. Des images satellites de la base militaire russe de Bamako, près de l’aéroport Modibo Keïta, montrent des expansions significatives entre décembre 2024 et janvier 2025, incluant de nouvelles routes, des mouvements d’équipements militaires et des travaux d'excavation. Début février 2025, l'Africa Corps a également déployé ses unités au Mali, avec l’arrivée d’un important convoi d'équipements militaires russes en provenance de Conakry, aperçu dans les rues de Bamako.
Le groupe Wagner, historiquement présent depuis 2021, participe non seulement à l’instruction militaire mais aussi aux combats, subissant de lourdes pertes, notamment à Tinzaouatene en juillet 2024. Une rivalité interne avec l’Africa Corps, illustrée par des vidéos de propagande, permet aux mercenaires de se maintenir, mais ils devraient être remplacés à terme par des éléments du ministère russe de la Défense, jugés plus acceptables politiquement.
Burkina Faso-Russie : Une coopération croissante
En janvier 2024, l'Africa Corps a annoncé l'arrivée d'une centaine de mercenaires russes à Ouagadougou, constituant le premier contingent d'une force de 300 hommes chargés d'assurer la sécurité du capitaine Ibrahim Traoré, de patrouiller dans les zones dangereuses et de former les soldats burkinabè. Cette base a été implantée à Loumbila, une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres au nord-est de la capitale Ouagadougou. Environ un mois plus tard, le gouvernement burkinabè a annoncé la signature d’une série d’accords de coopération avec la Russie dans plusieurs domaines, dont la sécurité et la défense, l'humanitaire, l’énergie, et le nucléaire.
Le pouvoir en place, fidèle à sa tradition « sankariste» ne souhaite pas une présence étrangère invasive d’une armée étrangère. Pourtant, la Russie pourrait être amenée à imposer sa présence et ce pour contrer la Chine et la Turquie, pourvoyeurs principaux d’armement (blindés et drones) du pays.
Niger : Le partenariat russe historique réactivé
Depuis le départ des forces occidentales, la Russie a renforcé sa présence militaire au Niger. En avril 2024, l'Africa Corps a déployé un contingent de 100 instructeurs chargés de former l'armée nigérienne. Ce déploiement, très médiatisé, a coïncidé avec le retrait des troupes américaines. Basés sur la base aérienne 101 à Niamey, ces instructeurs participent principalement à la formation des forces locales et à la protection du pouvoir en place.
Plus récemment, un regain d’activité aérienne autour de la base aérienne à AGADEZ ( BA 201) , anciennement utilisée par les militaires américains, avec des vols provenant de Libye, montre de manière significative la montée en puissance de cette base où le Corps Africain pourrait s’installer durablement.
République centrafricaine : L’influence durable de la Russie
Présente depuis 2018, la Russie, via le groupe Wagner, a étendu son influence en République centrafricaine (RCA). Initialement impliqués dans la livraison d'armes et la sécurisation du pouvoir centrafricain, les paramilitaires russes sont désormais intégrés dans les sphères militaires, économiques et culturelles du pays. En décembre 2024, une statue à l’effigie d'Evgueni Prigojine, a été inaugurée à Bangui, symbolisant cette emprise.
Controversés par leur méthode brutale, les mercenaires russes sont accusés de nombreuses exactions, vols, arrestations arbitraires, tortures ou exécutions sommaires, et enfin pillage des ressources minières du pays. Pourtant rien ne semble remettre en cause aujourd’hui leur présence.
C’est en Centrafrique que la société paramilitaire russe a posé son plus solide jalon africain, en mettant la main sur les richesses du pays, en monnayant sa protection armée mais en commettant diverses exactions.
Libye-Russie : Un soutien logistique stratégique
Implanté en Libye depuis 2018, le groupe Wagner joue un rôle déterminant dans le soutien de l’Armée nationale libyenne dirigée par le général Haftar. Parallèlement, l’Africa Corps poursuit sa présence dans le pays, envisagé comme une plaque tournante logistique pour des opérations au Sahel. La Russie manifeste un intérêt marqué pour les ressources pétrolières et aurifères libyennes et envisage l'établissement d'une base navale sur son sol. Forte de relations historiques avec le général Haftar, la présence russe en Libye s’est consolidée, notamment avec la SMP Wagner. Par ailleurs, depuis la chute de Bachar El Assad en Syrie, Moscou a intensifié ses transferts de matériel militaire entre la base syrienne de Lattaquié et Benghazi, tout en renforçant ses opérations dans les principales bases aériennes du pays. Elle a déployé récemment des unités vers la base de Maaten al Sarra, à la frontière avec le Tchad et le Soudan, afin d’assurer un point logistique stratégique vers le Sahel et la République centrafricaine.
Guinée équatoriale : Une protection rapprochée
À l'automne 2024, environ 200 instructeurs russes sont arrivés discrètement à Malabo. Ces soldats, probablement membres de l’Africa Corps, forment des gardes d’élite équato-guinéens et assurent la protection du vice-président Teodoro Nguema Obiang Mangue, fils du président actuel et pressenti pour lui succéder. Ce déploiement reflète l'expansion de l'influence russe en Afrique de l'Ouest.
Dès juin, le vice-ministre russe de la Défense, Iounous-Bek Evkourov, avait annoncé la signature d'un accord de formation militaire entre Moscou et Malabo. « Cet accord permettra aux instructeurs russes de se rendre en Guinée équatoriale pour former les militaires de différentes unités des forces armées du pays », avait-il précisé sur le réseau X.
Expansion vers d’autres pays africains ?
Au-delà des pays déjà évoqués, diverses informations suggèrent que le groupe Wagner et l'Africa Corps ont manifesté un intérêt pour plusieurs autres États africains, notamment le Mozambique, Madagascar, le Zimbabwe, l'Angola, la Guinée-Bissau et le Tchad. La stratégie russe semble viser à contrôler une large partie de l'Afrique septentrionale, de la mer Rouge à l'Atlantique, en renforçant sa présence dans le golfe de Guinée et en Afrique centrale, notamment au Tchad.
La Russie en Afrique : un nouveau chapitre sous l'Africa Corps
L'émergence de l'Africa Corps marque une nouvelle phase dans la stratégie d'influence de la Russie en Afrique. Placée sous l'égide directe du ministère russe de la Défense, cette entité vise à officialiser et à structurer les opérations précédemment menées par le groupe Wagner, consolidant ainsi la présence militaire russe sur le continent. L'Africa Corps compterait environ 5 000 agents déployés dans plusieurs pays africains. Bien que l'Africa Corps étende l'influence russe sur le continent, ses actions alimentent des débats sur la sécurité et le respect des droits des populations locales.
L’Africa Corps, en reprenant le flambeau de Wagner, offre aux États africains une alternative aux alliances occidentales. Mais cette coopération militaire pose la question de la souveraineté et du coût réel de cette dépendance sécuritaire. À mesure que la Russie étend son influence, le continent africain devient un théâtre d’affrontement entre grandes puissances, avec des conséquences encore incertaines pour sa stabilité.