Date : 17 Feb 2025
Terrorisme au Sahel : les limites des coopérations étatiques
« L’Afrique reste l’épicentre du terrorisme mondial » a déploré Amina J. Mohammed, vice-Secrétaire générale de l’ONU, lors du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 21 janvier 2025. Particulièrement heurtés par le terrorisme, les pays de l’Afrique de l’Ouest tentent de limiter les secousses de l’instabilité régionale et transnationale.
L’expansion de la menace djihadiste en Afrique de l’Ouest
Entre janvier et septembre 2024, le Centre de l’Union africaine a recensé 3 400 attaques terroristes et 13 900 victimes dans toute l’Afrique. Selon la vice-Secrétaire générale de l’ONU, ces attaques représentent une augmentation de 250%, sur les deux dernières années, en Afrique de l’Ouest. Les groupes affiliés à l’État Islamique et à Al-Qaida prolifèrent dans la région des trois frontières, à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso et s’étendent de plus en plus vers les pays côtiers comme le Bénin et le Ghana.
Cette expansion des mouvances djihadistes dans la région et leur caractère transnational obligent une réponse coopérative et coordonnée des pays de l’Afrique de l’Ouest. En ce sens, Leonardo Santos Simão, représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, a soutenu que le renforcement des mécanismes de coordination régionale dans la lutte contre le terrorisme était impératif.
La lutte contre le terrorisme affaibli par le retrait de l’AES de la CEDEAO
La CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), l’alliance de 12 pays d’Afrique de l’Ouest organise la coopération sécuritaire et économique de la sous-région afin de pérenniser le développement de cette dernière. Le 29 janvier dernier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso se sont retirés de l’institution régionale, une perte significative pour la communauté.
Ce retrait porte un coup à la CEDEAO, puisqu’elle perd les trois pays dans lesquels se trouve l’épicentre du terrorisme régional, et même mondial. Cet isolationnisme des pays du Sahel risque d’endiguer la lutte contre le terrorisme, et pourrait permettre aux mouvances djihadistes d’être encore davantage insaisissables.
Dans cette perspective, l’ONU rappelle que la stabilisation à long terme au Sahara-Sahel nécessite le soutien de la communauté internationale au Mali, au Niger et au Burkina Faso. C’est la raison pour laquelle, par l’intermédiaire du Bankole Adeoye, (commissaire aux Affaires politiques, à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine), l’ONU et l’Union africaine ont annoncé le financement du contre-terrorisme dans la région avec la réactivation de la résolution 2719 (2023) du Conseil de sécurité, relative au financement des missions de soutien à la paix de l’UA.
Quelles perspectives pour la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest ?
La CEDEAO s’attaque au terrorisme par une stratégie socio-économique misant sur le développement économique, pour pacifier la région. Selon la CEDEAO, l’augmentation des échanges et l’amélioration du pouvoir d’achat de la population dissuaderont la population de rejoindre les rangs djihadistes pour des raisons pécuniaires.
À ce titre, le Ministre des Affaires étrangères de la Sierra Leone a expliqué : « Il est crucial de restaurer un contrat social avec les jeunes et de miser sur leur potentiel », afin d’éviter que les ressources humaines de l’Afrique de l’Ouest ne tombent entre les mains des groupes terroristes.
L’Afrique de l’Ouest est un espace qui ne cesse de se diviser, entre des pays moteurs de la coopération régionale en matière de sécurité, et des pays isolationnistes, tels que l’AES. Parmi les éléments moteurs, le Nigeria est en passe de devenir la troisième plus grande armée de l’air d'Afrique. Au niveau stratégique, l’amélioration des capacités militaires nigérianes est un élément clé pour collecter du renseignement par des missions de reconnaissance et de surveillance, face à des ennemis très mobiles et volatiles. Le soutien aérien et les frappes de précision du Nigeria ont touché des bastions terroristes dans le delta du Niger, ainsi que Boko Haram dans la région du lac Tchad. Cette force tend également à renforcer le soutien militaire de la CEDEAO, travaillant à la création d’une force régionale anti-terroriste. Cette dernière nécessite 2,4 milliards de dollars d’investissement pour pouvoir rajeunir une capacité d’intervention coordonnée des pays de l’Afrique de l’Ouest.
La coopération au cœur de la lutte contre le terrorisme au Sahel
Le financement de ce projet se heurte à une ambiguïté entre les États membres, hésitant à contribuer à un pot commun de la CEDEAO ou bien d’allouer des fonds à leurs propres efforts nationaux. Ainsi, la coopération contre le terrorisme est limitée par l’approche « souverainiste » de certains pays ouest-africains. Le cas du retrait des pays de l’AES de la CEDEAO l’illustre clairement. Il y a aussi l’exemple du Tchad, qui a menacé de se retirer de la Force multinationale mixte (FMM) composée du Nigeria, du Cameroun, du Niger, du Bénin et du Tchad, et œuvrant à l’éradication de la menace djihadiste dans la région du lac Tchad. Après la mort de 40 soldats tchadiens dans une attaque de Boko Haram, le Président Mahamat Idriss Deby Itno s’était révolté : "Pourquoi devons-nous sacrifier nos enfants pour les autres et ne recevoir aucun soutien en retour ?".
Les efforts contre le terrorisme sont remis en question par la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest entre les États pour la coopération régionale et les pays isolationnistes de l’AES. Ces derniers considèrent que leur sécurité nationale doit rester une question entièrement souveraine. Par conséquent, les pays de l’Afrique de l’Ouest parviennent difficilement à se coordonner et unifier leur réponse face à une menace terroriste transnationale et régionale.
À la lumière de tous ces éléments, une question reste des plus pertinentes : comment éviter que l’isolement des pays du Sahel puisse profiter au développement du djihadisme dans la région ?