Date : 17 Jan 2025
L'usage des drones au Mali : entre victimes civiles et stratégie militaire
Le 10 janvier 2025, un drone Bayraktar Akıncı se serait écrasé à l’aéroport de Sévaré, au Mali. Pour les Forces armées maliennes, les drones sont devenus indispensables aux opérations de lutte contre les groupes armés. L’usage de cette nouvelle arme de guerre a déjà causé la mort de nombreux civils.
Les pays de l'Alliance des États du Sahel (AES) ont opéré une réorientation stratégique. Face à l’intensification de la menace terroriste et afin de limiter sa dépendance vis-à-vis d’acteurs extérieurs, le Mali a dû développer ses capacités militaires et diversifier ses sources d’approvisionnement en matériels. C’est dans cet objectif que le gouvernement malien a développé sa coopération avec la Turquie.
L’achat de drones Bayraktar TB2 et Akinci au Mali
Dès 2020, il a été rapporté que les Forces armées maliennes (FAMa) avaient acquis des drones de fabrication turque, notamment des Bayraktar TB2. Il s’agit de drones tactiques de moyenne altitude et longue endurance (MALE), conçus pour des missions de reconnaissance, de surveillance et de frappes aériennes. Ils peuvent transporter jusqu’à 150 kg de charge utile. Chaque unité coûte entre 2 et 4 millions de dollars. Les FAMa ont ensuite réceptionné plusieurs autres livraisons de ces drones en décembre 2022, mars 2023 et janvier 2024.
Le Mali a récemment opéré un bond capacitaire significatif en acquérant en novembre 2024 des drones Bayraktar Akinci. Ces drones de nouvelle génération sont des drones de combat et de reconnaissance de haute altitude et longue endurance (HALE). Ils sont conçus pour des missions de surveillance, de renseignement et de frappes aériennes de précision, avec une capacité de frappe de haute intensité. Ils peuvent transporter jusqu’à 1 350 kg de charge utile. Chaque unité coûte entre 20 et 30 millions de dollars.
L’ambassadeur de Turquie au Mali a déclaré que « ces appareils ont été fournis au Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international qui constitue une menace pour l'humanité. C'est une responsabilité collective de tous les pays du monde épris de paix et de stabilité de lutte contre le terrorisme dans ses formes ». Ces drones jouent aujourd’hui un rôle central dans les opérations militaires maliennes. Depuis leur acquisition, les opérations militaires maliennes se sont articulées autour de ces aéronefs. Le Mali est un territoire vaste, avec des terrains désertiques, montagneux et souvent inaccessibles par voies terrestres (1 241 238 kilomètres carrés, le deuxième plus grand d'Afrique de l'Ouest). Ils offrent des capacités de surveillance et de renseignement en temps réel et disposent de capacités de frappes aériennes ciblées. Ils peuvent également transporter des munitions guidées permettant de frapper à distance des cibles spécifiques telles que des caches d’armement, des installations ou des mouvements ennemis.
Des drones responsables de la mort de nombreux civils
L’utilisation de drones par les FAMa a soulevé des préoccupations concernant les victimes collatérales civiles. Le nombre important de civils tués est principalement le résultat de mauvais ciblages. Dans certains cas, des erreurs d’appréciation conduisent à toucher des civils. Il reste difficile d’établir un bilan précis des civils tués par ces frappes car les FAMa reconnaissent très rarement leurs imprécisions.
Les FAMa ont mené leur première frappe de drone le 4 novembre 2023 à Kidal, dans le Nord du Mali. Cette frappe visait un camps abandonné de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA), dans lequel s’étaient réfugiés des insurgés touareg. Les militaires maliens avaient pour objectif de prendre le contrôle de la localité de Kidal, tenue par des rebelles de la coalition du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD).
Le 1er décembre 2024, au lendemain de la création du Front de libération de l’Azawad (FLA) dans le Nord du Mali, les FAMa ont mené des frappes de drones près de Tinzaouatène, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Algérie. Cette frappe à causé la mort de huit chefs indépendantistes touareg, dont cinq cadres du nouveau mouvement. Parmi les victimes, Fahad Ag Almahmoud, ancien secrétaire général du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), ainsi que deux cadres de l’ex-Mouvement national de libération de l’Azawad et du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, a annoncé le FLA dans un communiqué.
Le 30 juillet 2024, Les drones FAMa ont ciblé Tinzaouatène. Dans un communiqué, l'armée malienne affirme, « en coordination avec les Forces armées du Burkina Faso », avoir « débuté ce mardi 30 juillet 2024 une campagne aérienne dans le secteur de Tinzaouatène ». Cette campagne vise « à sécuriser les personnes et les biens dans la localité de Tinzaouatène et ses environs, contre la coalition de terroristes auteurs d'exactions, d'abus et de trafics illicites contre les populations maliennes ». Ces frappes ont tué au moins 6 civils. Un porte-parole des indépendantistes du Cadre stratégique permanent (CSP) a affirmé que « les tirs de drones de l'armée malienne accompagnée de (ses alliés russes) Wagner ont pris pour cibles des civils ». Toujours à Tinzaouatène, le 26 août 2024, 21 personnes ont été tuées par de nouvelles frappes de drones. Les FAMa affirment avoir visé des terroristes et non des civils comme l’affirme le CSP. Le groupe accuse l’armée malienne d’avoir tué 21 civils, dont 11 enfants.
Le 17 mars 2024, les FAMa ont mené 2 frappes de drone à Amasrakad, dans la région de Gao. Dans leur communiqué, les militaires maliens affirment avoir « neutralisé plusieurs terroristes et détruit une importante quantité de matériels de guerre ». Cependant, selon Amnesty International, les frappes ont tué au moins 13 civils, dont sept enfants âgés de 2 à 17 ans, et fait plus d’une dizaine de blessés. Un survivant témoigne : « Ma femme et six de mes enfants s’y trouvaient et ils ont tous été tués par la frappe. Les autres victimes étaient des amis et des connaissances qui cherchaient simplement à se protéger dans cette maison ». Quelques jours plus tard, le 23 mars 2024, une frappe de drone vise une école coranique dans le village de Douna. Bilan de la frappe : 14 civils tués, dont 10 enfants, et plus d’une dizaine de blessés.
Face au nombre important de civils tués par des frappes de drones au Mali, Amnesty International demande à ce que les FAMa rendent « publiques les informations relatives à l’utilisation et à l’impact des drones armés, notamment le nombre de frappes de drones armés, ventilé par lieu, et le nombre de civils et de combattants tués ou blessés à la suite de ces frappes, ainsi que les critères utilisés pour faire la distinction entre ces deux catégories. ».
Lors de la cérémonie de remise officielle de drones Bayraktar TB2 le 4 janvier 2024, Assimi Goïta, Président de la transition de la République du Mali, a affirmé que ces aéronefs militaires permettent de « surveiller le territoire national, de détecter des cibles suspectes, de les traquer et de les frapper au besoin avec une précision chirurgicale ». Si ces drones jouent un rôle central dans la lutte contre le terrorisme de nos jours, au Mali, force est de constater que sur le terrain, les dommages collatéraux civils sont de plus en plus nombreux. Quant aux enquêtes devant permettre de situer les responsabilités, elles sont rares et nombreuses institutions de défense des droits de l’homme s’en insurgent.