Date : 20 Dec 2024
Frontière Tchad-Soudan : l’impact de la guerre civile au Soudan sur la stabilité sécuritaire au Tchad
Depuis le début de la guerre civile au Soudan le 15 avril 2023, plus de 620 000 soudanais se sont réfugiés au Tchad. L’afflux massif de ces réfugiés représente un défi de taille pour le Tchad qui est déjà confronté à des défis sécuritaires et socio-économiques importants.
Situation humanitaire à l’Est du Tchad
Depuis le début de la « guerre des généraux », plus de 620 000 soudanais se sont réfugiés dans l’Est du Tchad, essentiellement dans les régions Ouaddaï, Sila, et Tibesti. Ces réfugiés sont répartis sur une quinzaine de camps situés tout au long de la frontière tchadienne.
Le camp d’Adré, dans la région du Ouaddaï, est l’un des principaux points d’entrée au Tchad. Surpeuplé, il abrite aujourd’hui environ 240 000 réfugiés dans des conditions de vie difficiles. La région du Ouaddaï est l’une des plus vulnérables du pays. Elle dispose d’un faible accès aux services de base comme l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement. Les réfugiés dépendent presque entièrement de l’aide humanitaire internationale fournie par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Médecins sans frontières (MSF), le Programme alimentaire Mondial (PAM), le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNISEF), la Croix-Rouge, etc. Cependant, la réponse humanitaire manque de financement. En 2024, le HCR n'a reçu que 10 % des 215 millions de dollars dont il a besoin pour répondre à la situation dans l'est du Tchad. Selon le PAM, beaucoup des membres des communautés locales et des réfugiés affichent des niveaux de consommation alimentaire faibles ou limites. Près de la moitié des enfants souffrent d'anémie. Dans ces camps, le risque d’épidémie et de famine s’accentue de jour en jour.
Dans la ville d’Adré, l’afflux massif de ces réfugiés fait peser une grande pression sur les ressources locales et crée des tensions avec les populations tchadiennes. Certaines familles se sont installées sur les terres d’habitants qui ne peuvent donc plus cultiver. Les agences onusiennes et les autorités tchadiennes cherchent à les relocaliser vers des camps officiels établis en dehors de la ville, loin de la frontière. Cependant, cette initiative est ralentie par un manque de moyens et par le fait que les réfugiés refusent de se rendre dans ces nouveaux camps.
Impact sur la situation sécuritaire Tchadienne
La crise au Soudan représente une menace sécuritaire pour le Tchad. Depuis le début du conflit, les autorités tchadiennes ont décidé de fermer leur frontière. Seuls les civils qui cherchent à fuir les combats sont autorisés à la franchir.
L’armée tchadienne a dû se déployer seule sur plus de 1 300 km en zone désertique afin d’assurer la sécurité à cette frontière. Une opération difficile qu’elle assurait auparavant en coopération avec le Soudan dans le cadre de la Force mixte tchado-soudanaise (FMTS). En mai 2023, le Général de division, Ousman Bahar, coordinateur des zones opérationnelles de l'Est et commandant de la force mixte affirme : « quand la case de ton voisin brûle, il faut prendre des dispositions nécessaires pour protéger la tienne. […] Nous sommes frères et nous sommes disposés à assurer la sécurité, à intervenir à tout moment, à fermer et sécuriser jalousement notre frontière, mais pas au-delà ».
Depuis 2010, la FMTS est responsable de la surveillance de la frontière entre les deux pays. Composée de 3 000 hommes, cette unité dispose d'un droit de poursuite sur 100 km de chaque côté de la frontière. La FMTS a été mise en place pour combattre les groupes armés et les milices actifs des deux côtés de la frontière, ainsi que pour empêcher les incursions de ces groupes au Tchad.
Aujourd’hui, cette force mixte n’est plus en place en tant que structure opérationnelle. La guerre civile au Soudan a finalement fait disparaître la FMTS qui a progressivement perdu en efficacité depuis le coup d’État de 2019 au Soudan, rendant la coopération de plus en plus compliquée.
Les forces armées tchadiennes doivent à présent sécuriser à elles seules les 1 300 km de frontière avec le Soudan. Une tâche qui s’annonce difficile car ces forces sont déjà mobilisées sur plusieurs fronts, notamment dans le cadre de la lutte contre les groupes armés internes et les menaces djihadistes.
Au Soudan, les combats entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR) se sont rapidement rapprochés de la frontière tchadienne. Selon ACLED, en octobre 2024, d’importants combats ont fait plus de 3 000 victimes dans la ville soudanaise d’El Geneina, à seulement 29 km de la ville tchadienne d’Adré. Il a donc été impératif d’empêcher toutes possibilités de violences transfrontalières. En période de guerre civile, les factions militaires et paramilitaires au Soudan peuvent utiliser le territoire tchadien comme base d'opérations ou se livrer à des attaques ciblées contre les forces de sécurité tchadiennes.
À l’origine de la prolifération des armes
Au Tchad, le trafic de carburant et d’armes s’est intensifié sur fond de conflit au Soudan. Les trafics illicites alimentent le conflit soudanais en fournissant aux groupes armés les ressources nécessaires à la poursuite du combat. Le long des 1 300 km de frontière, les zones désertiques et semi-désertiques sont propices au trafic d’armes et de carburant. Les forces armées tchadiennes tentent d’endiguer ce trafic. Le général Ousman Bahar indique que, « il y a eu, dans les années passées, le conflit au Darfour, le conflit en Libye qui ont tout d’abord permis la prolifération des armes de guerre. Nous sommes donc très fermes pour éviter à nouveau les armes, les désordres et puis, éventuellement, chercher aussi à désarmer quelques civils qui viendront peut-être armés ». Malgré la fermeture de la frontière, des routes non surveillées dans des régions reculés permettent aux trafiquants de faire passer des armes et du carburant facilement d’un pays à l’autre. Les trafiquants de l’Est du Tchad ont signalé une augmentation du trafic transfrontalier d’armes et de carburant en provenance du Tchad et de la Libye. Les produits de ce trafic proviennent essentiellement de la Libye, de réseaux criminels ou d’États qui soutiennent les factions rebelles. Le conflit au Soudan risque d’exacerber le trafic d’armement et de carburant, déjà problématique dans la région, entre le Soudan et le Tchad, alimentant ainsi le conflit, les groupes djihadistes et les milices criminelles. Ce trafic est donc un potentiel foyer de déstabilisation et d’insécurité pour le Tchad.
Guerre civile au soudan : origines et parties impliquées
Le 30 juin 1989 au Soudan, le colonel Omar Hassan Ahmed el-Bechir renverse la fragile coalition gouvernementale du Premier ministre Sadeq al-Mahdi lors d’un coup d’État militaire. A la tête du pouvoir, il instaure une dictature militaire islamique.
Le 26 février 2003, éclate la guerre du Darfour, une région située dans l’Ouest du Soudan. Elle oppose des groupes rebelles non arabes, tels que le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) et le Front de libération du Darfour (DLF), au gouvernement soudanais d’Omar el-Bechir qui soutient les milices arabes Janjawids. Bien que des accords de paix aient été signés, comme celui du Darfour (2006) et de Doha (2011), la violence a persisté. Le conflit aurait fait plus de 100 000 victimes et 2,7 millions de déplacés.
Le 11 avril 2019, la dictature d’Omar el-Bechir est renversée par des manifestations populaires.
Après la chute de Bechir, le Soudan entame une transition vers un gouvernement civil. Un Conseil souverain est créé, regroupant des civils et des militaires. Il est dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des FAS.
Le 25 octobre 2021, le général al-Burhan chef des mène un coup d'État renversant le gouvernement civil dirigé par le Premier ministre Abdalla Hamdok. Le gouvernement est dissout et la constitution est suspendue.
L’autorité d’al-Burhan est ensuite contestée par le général Mohamed Hamdan Daglo (« Hemetti »), chef des FSR : une milice paramilitaire soudanaise née des Janjawids.